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Comment rejuger l’ancien chef d’Etat tchadien au Sénégal alors qu’il a été déjà relâché par deux décisions de la justice sénégalaise qui sont en principe définitives ? Peut-on lui appliquer une nouvelle loi pénale qui n’existait pas au moment où il a été inculpé et qui soit plus dure ? Cette nouvelle loi qui permet de juger un étranger, de surcroît un ancien chef d’Etat pour un crime commis à l’étranger, lui sera-t-elle applicable ?

Comment les futurs juges d’Habré dénoueront-ils l’épineuse équation de l’autorité de la chose déjà jugée ? Le Sénégal a-t-il les moyens financiers, matériels et humains pour faire face à un tel procès ? Qui indemnisera les victimes ? Autant de questions qui montrent que le chemin vers le procès tant attendu est encore lointain.


Quoi qu’il en soit, les juges feront face, au-delà des difficultés matérielles, à des principes juridiques qui constituent des fondamentaux du droit, comme le principe de la non-rétroactivité des lois nouvelles, celui de la loi la plus douce au cas où il y aurait succession de loi dans le temps. Certes, le Sénégal avait signé, dès 1986, la Convention des Nations-Unies contre la torture, mais il n’avait pas adapté son Code pénal en y définissant et en y réprimant la torture. C’est ainsi que la plainte contre Hissène Habré avait été rejetée par le juge sénégalais par une décision définitive, sur la base de la non inclusion dans le Code pénal sénégalais de crime de torture et de la sanction pénale qu’il entraîne.


C’est seulement après que le juge s’est déclaré incompétent pour juger Habré qu’on a introduit le crime de torture dans le droit pénal sénégalais. Le nullum crimen nulla poena fine lege est un principe général de droit pénal qui veut qu’il n’y ait aucun crime et pas de peine sans loi. C’est un principe qui protège l’individu contre l’Etat, car il faut que la loi prévoit le crime et la peine avant qu’on ne juge quelqu’un. Par ailleurs, quand il y a une succession de lois pénales dans le temps, c’est la loi pénale la plus douce qui s’applique. Ces deux principes sont prévus pour protéger l’individu contre l’Etat. C’est comme la présomption d’innocence. Ce sont là des principes fondamentaux de droit. Peut-on dès lors appliquer à Habré la nouvelle loi qui n’est pas censée rétroagir alors que les faits pour lesquels il a été jugé, n’ont pas changé ?


Il faudra ajouter à ces trois principes la prescription en matière de crime au Sénégal qui n’est que de dix ans. L’affaire Habré entre-t-elle dans le domaine de la prescription si des faits nouveaux sont allégués ? Par ailleurs, la demande d’extradition introduite par le juge belge a été rejetée sur la base que Habré, un ancien chef d’Etat, ne relevait pas des juridictions ordinaires même pour les crimes, mais d’une Cour spéciale. Or dans ce cas précis, la Haute Cour de justice du Sénégal est-elle compétente pour juger Habré, un chef d’Etat étranger ?


Le Sénégal sachant qu’il a entre ses mains un véritable cas d’école et un dossier fort sensible, avait essayé de balancer l’affaire Habré à l’Union africaine qui lui a poliment rendu la patate devenue chaude. Il faut savoir que l’Union africaine, malgré la sagesse affichée par Me Wade, n’est ni un Parlement habilité à voter des lois pénales, ni une juridiction. Elle a trouvé une porte de sortie en créant un groupe de juristes pour donner un avis. La décision des sages était que le Sénégal devait lui-même prendre ses responsabilités.


C’est dire qu’on est revenu à la case départ. Une lecture purement juridique de l’affaire Habré au cas où elle serait jugée au Sénégal et au vu du droit, estiment certains spécialistes du droit international, pourrait servir au mieux d’avertissement aux tortionnaires des droits humains. La décision sénégalaise de juger Habré a été saluée par les Ongs de droits de l’Homme, malgré le flou qui continue de régner sur sa mise en œuvre au bénéfice des victimes déclarées. Les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre sont certes des crimes internationaux, mais la loi sénégalaise ne les définit ni ne les réprime. Comment les victimes pourront-elles en bénéficier ? Ces crimes peuvent aussi être considérés comme imprescriptibles, mais à condition que la loi ou une convention internationale ratifiée par le Sénégal le prévoit de façon expresse. Est-ce le cas pour Habré ? La question est posée.

 


El Hadj Gorgui Wade NDOYE

Tag(s) : #Politique
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