Abderahmane Salah et Youssouf Adam Mahamat, deux travailleurs immigrés tchadiens, redoutent pour leur part d'être confondus avec des mercenaires africains de l'impétueux colonel, au risque d'un possible lynchage.
Les insurgés accusent en effet Mouammar Kadhafi de recourir aux services de mercenaires venus d'Afrique sub-saharienne pour tenter de mater la rébellion la plus dangereuse que son régime ait connue depuis qu'il a renversé la monarchie, le 1er septembre 1969.
A Ajdabiah, comme dans les autres villes tenues par les rebelles basés dans la ville traditionnellement frondeuse de Benghazi, ceux-ci ont en effet promis de les pourchasser.
"On a peur. Chaque fois que nous sortons, les rebelles, tout comme d'ailleurs les Libyens ordinaires nous traitent de 'chiens noirs de mercenaires'. Ils nous injurient", confie Abdelrahamane Salah. "Ils nous disent 'Vous avez tué des Libyens. Nous allons vous faire subir le même sort'."
Salah et Mahamat sont arrivés à Ajdabiah il y a six mois pour travailler comme vigiles dans une exploitation agricole. Leur rêve de pouvoir faire vivre décemment leurs deux familles restées dans leur pays a été balayé par le vent de révolte qui a soufflé sur l'ensemble du monde arabe: aujourd'hui, ils ne pensent plus qu'à survivre et regagner leur Tchad natal au plus vite.
Il y a quelques jours, des rebelles ont pénétré dans Ajdabiah jusqu'à quelques centaines de mètres des maisons où vivent les deux Tchadiens. Dans leur pick-up ils transportaient le corps d'un Algérien qualifié de mercenaire africain qu'ils se glorifiaient d'avoir exécuté en hurlant "Dieu est le plus grand !"
Des centaines d'autres Tchadiens ont fui la ville depuis le début des troubles, à la mi-février, craignant d'être pris pour des mercenaires kadhafistes. La Libye et le Tchad ont longtemps eu un litige territorial au sujet de la bande frontalière d'Aouzou, qui les a amenés à se faire la guerre dans les années 1980 avant de régler ce contentieux en 1994.
Salah et Mohamed s'épaulent l'un l'autre dans l'adversité.
"Dans la rue, les gens nous arrêtent pour demander d'où l'on vient, pourquoi nous sommes ici, est-ce que nous sommes des mercenaires, ce qu'on pense de Kadhafi. C'est de pire en pire", explique nerveusement Mahamat, 38 ans, alors qu'il vient de faire des emplettes avec son compatriote chez l'épicier du quartier.
"On ne sort que tous les quatre jours lorsqu'on n'a plus de nourriture. Autrement, nous restons cloîtrés chez nous", confie Mahamat, les bras chargés de riz, de pâtes et d'huile.
Mais, rester chez soi n'est même pas sûr. Un groupe de rebelles a fait récemment irruption chez eux, les braquant avec des kalachnikovs en les accusant d'être à la solde de Kadhafi. "Ils ont mis nos chambres sens dessus dessous à la recherche d'armes" raconte Salah, 28 ans.
La seule façon pour ces Tchadiens de se changer les idées, c'est de regarder la télévision. Mais ils finissent par zapper sur d'autres chaînes que celles qui leur rappellent la tourmente dans laquelle ils sont plongés.
Lors d'une conférence de presse diffusée cette semaine en direct, le chef du Conseil national de transition, de la rébellion, a fait part de ses inquiétudes auprès d'une délégation de l'Union africaine au sujet du recours par le régime Kadhafi à des mercenaires sub-sahariens.
Fuir la Libye à l'heure actuelle n'est pas une opération sûre en raison de la zone d'exclusion aérienne décrétée par les Nations unies dans le ciel libyen. Salah et Mahamat ont trop peur de rentrer au Tchad par la route. Ils craignent les barrages routiers où des rebelles sur les nerfs passent leur temps à accuser des "marchands de mort africains" de tuer des Libyens innocents.
L'ambassade du Tchad n'est pas d'une grande aide. "On a appelé l'ambassade pour leur faire part de nos craintes pour notre sécurité. Ils nous ont juste conseillé de rechercher un moyen sûr de rentrer chez nous", témoigne Salah. Et ce dernier en a été réduit à demander au correspondant de Reuters de lui fournir un document certifiant qu'il n'était pas un mercenaire africain...
Source : Reuters