"Tous les crimes sont venus de la tyrannie, qui fut le premier de tous." Saint-Just
En à peine vingt-quatre heures, la scène politique tchadienne s'est vue bouleversée par deux événements d'importance majeure. Le premier est survenu, avant-hier, dans la soirée, avec la disparation de Djibrine Dassert, des suites des tortures infligées par les sbires d'Idriss Déby. Ce Colonel, ancien chef d'Etat-Major du MPS, avait pourtant été un des compagnons de la première heure d'Idriss Déby, lui permettant d'accéder au pouvoir le 1er décembre 1990. Par la suite, révolté par l'injustice et l'oppression qui régnaient au Tchad, Djibrine Dassert avait pris le chemin de la rébellion, fondant son propre mouvement politico-militaire, le MPRD. Capturé au sud du Tchad en 2011, il avait été publiquement humilié par Idriss Déby en étant exposé, enchaîné, sur la place de la Nation à N'Djaména. Enfermé dans le camp de concentration de Korotoro, il avait été relâché il y a quelques semaines à peine, mais il ne parvint jamais à guérir des sévices prodigués par ses geôliers.
Et, le lendemain de la mort de ce héros de la résistance tchadienne, un deuxième séisme extirpa N'Djaména de sa torpeur : l'arrestation et la mise sous mandat de dépôt du Secrétaire Général à la Présidence, Mahamat Saleh Annadif (MSA). Bien qu'il ne faille nullement mettre sur un pied d'égalité le trépas d'un digne fils de la patrie et la neutralisation d'un des plus proches collaborateurs d'Idriss Déby, il convient tout de même de s'indigner devant l'arbitraire de cette dernière situation. Prenant pour prétexte une obscure affaire de détournement de fonds, Idriss Déby a précipité la chute de celui que nombre de fins connaisseurs de la vie politique tchadienne voyaient pourtant poursuivre sa course vers le firmament. Qu'importe… L'incarcération de MSA vient confirmer un état de fait, lancinant depuis vingt-et-une interminables années : au Tchad, nul ne saurait porter ombrage à la toute-puissance d'Idriss Déby. Ceux qui, par malheur, se sont hasardés à croire le contraire, se persuadant qu'ils pourraient changer ce régime dictatorial de l'intérieur, l'ont tous payé au prix fort. MSA, le transfuge du PLD, n'a pas dérogé à la règle. Au pays des Sao, sous le joug de la figure inquiétante du "boucher d'Amdjarass", nulle place n'est permise pour la justice, pour l'intégrité, pour l'espérance.
Et pendant ce temps-là, loin des ors du pouvoir et des lambris dorés du Palais Rose, à des années-lumières des manipulations politiciennes et du machiavélisme d'Idriss Déby, la population tchadienne vit dans le dénuement le plus total. Le délestage et les moustiques sont le lot quotidien de millions de personnes, y compris à N'Djaména, que la rente pétrolière aurait dû pourtant transformer en un nouvel eldorado. A Farcha (un quartier huppé de la capitale tchadienne), des villas de cinq étages toutes plus extravagantes les unes que les autres tutoient les étoiles tandis que s'amassent sur le bord des routes en latérite des centaines de mendiants ou d'enfants des rues. Et que fait Idriss Déby pour remédier à cette situation intenable ? Comme toujours, rien. Il préfère manipuler, louvoyer, humilier, quand il ne tue pas.
Mais, comme le dit si justement l'adage, l'aube n'est jamais aussi proche qu'au plus noir de la nuit. La tyrannie de Déby prendra bientôt fin. Toutefois, il ne faut pas à s'attendre à ce qu'elle boive elle-même la cigüe de sa déchéance. Il faudra lui administrer. Sans attendre. Et c'est l'appel que nous voulons lancer aujourd'hui. Fort de l'exemple de MSA, nous sommes persuadés que toute collaboration avec le sanguinaire Idriss Déby Itno sera inefficace et ne servira qu'à renforcer son pouvoir. La seule voie tangible reste et demeure l'opposition radicale au régime de N'Djaména. Il faudra donc lutter, lutter de toutes ses forces, le plus souvent au péril de sa vie, comme le fit si courageusement Djibrine Dassert. Mais, nous en sommes convaincus, si nous consentons à tous ces sacrifices, la victoire sera inévitablement au bout du chemin. La communauté internationale, dont nous ne pouvons douter un seul instant de l'humanisme, ne pourra rester insensible très longtemps aux déboires de ce peuple tchadien martyrisé. Elle finira par voler à notre secours, comme elle l'a fait en Côte d'Ivoire, en Libye et en Syrie. Ainsi, après plus de deux décennies de souffrances et d'oppressions, après l'assassinat de personnages aussi illustres que Bichara Digui, Abbas Koty ou encore Ibni Oumar Mahamat Saleh, il viendra bientôt le jour où, n'en doutons pas, les loups s'enfuiront et le sirocco de la liberté soufflera à nouveau sur le plus beau pays du monde.
Par Hissein Bougoudi