Alors que certains politiciens burkinabè, notamment de la majorité présidentielle, pinaillent encore sur l’opportunité de modifier l’article 37, portant limitation du mandat présidentiel, les militaires nigériens viennent de donner une leçon de chose politique à l’opinion internationale. De quoi apporter de l’eau au moulin des anti-révisionnistes et des révisionnistes.
Le Niger, faut-il le rappeler, s’était en effet engouffré dans une impasse politique à cause de la soif de pouvoir du septuagénaire Mamadou Tandja. Celui-ci a tordu le cou à la loi fondamentale de son pays pour se maintenir au pouvoir, alors que son mandat était arrivé à expiration le 22 décembre dernier. Il a d’abord dissout toutes les institutions républicaines et s’est ouvert le boulevard d’une mascarade de référendum constitutionnel afin de se tailler une VIe République à la mesure de sa boulimie du pouvoir.
Ainsi, il s’est octroyé une « rallonge de 3 ans » en plus des 2 mandats constitutionnels de 5 ans qu’il devait passer à la tête de l’Etat. Mais son désir de « pouvoir à vie » n’aura duré que 56 jours. Sous la houlette du chef d’escadron Salou Djibo, des officiers de l’armée nigérienne ont mis fin à son règne illégitime le 18 février dernier. Et voilà un 4e coup d’Etat militaire qui a retenti sur les berges du fleuve Niger comme un avertissement sans frais à tous les dinosaures qui ne veulent pas passer la main, même lorsque la Constitution de leur pays le leur commande. Tandja a payé le prix de ses turpitudes. Mais les mêmes causes peuvent-elles produire les mêmes effets partout ? Rien n’est moins sûr.
En cela, les partisans du révisionnisme ont peut-être raison de signaler que « la situation du Niger n’est pas celle du Burkina ». Réunis en journées parlementaires le week-end dernier à Tenkodogo, les députés du gigaparti au pouvoir n’ont pas manqué de se prononcer sur le coup de force intervenu à Niamey. Ainsi, selon l’argumentaire de l’émérite danseur de Kankalaba, Tandja aurait cherché ce qui lui est arrivé en persistant à continuer un bail sans issue. Par contre, la Constitution burkinabè n’ayant pas « verrouillé » l’article 37, la possibilité du « pouvoir à vie » ne serait pas à exclure. Soit. Mais pourquoi défoncer, à nouveau, cette porte qui avait pourtant été repérée, en 1999, par le collège des sages comme une impasse politique ?
Les idéologues du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ne semblent pas démordre de leur désir de sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel. Lorsque le président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987, n’ose pas encore déclarer officiellement qu’il va prendre sa retraite en 2015 comme le stipule la Constitution en vigueur, il faut donc s’attendre à une saison de longs couteaux. A moins que le Blaiso national ne soit trop aspiré par les difficiles facilitations qu’il mène en Côte d’Ivoire et au Togo pour ne plus avoir le temps de régler ses problèmes domestiques, notamment celui de la fin de son règne. On pourrait se contenter de dire que « le Niger n’est pas le Burkina ». Mais lorsque le silence assourdissant du président candidable à la prochaine présidentielle du 21 novembre 2010 ne rassure pas ses opposants sur sa volonté de ne pas s’éterniser au pouvoir, on ne peut pas se passer de la leçon politique nigérienne.
Le pouvoir sans limitation porte inexorablement les germes d’un coup d’Etat perpétuel, donc d’une instabilité politique qui « ramène le pays en arrière » pour emprunter cette expression au porte-parole des putschistes nigériens, le colonel Djibrilla Hamidou Hima, alias Pelé. Il faut reconnaître avec ce brave officier que le coup d’Etat constitue un acte politique de régression notoire. Mais le jeu politique, tel qu’il se déroule sous les tropiques, laisse-t-il véritablement une autre alternative que celle-là ? Que fait-on pour que le coup d’Etat ne devienne plus la solution ultime pour sauver une situation politique où le peuple lui-même est pris en otage ? Peut-on vouloir « le bien » d’un peuple sans lui donner la possibilité d’essayer un autre système que celui qu’on lui a imposé depuis des décennies ?
Au-delà du cas nigérien dans lequel chaque pays peut raisonnablement mirer ses us et coutumes politiques, les acteurs politiques africains devraient s’interroger très honnêtement sur la problématique de la gestion du pouvoir, surtout dans les régimes qui se proclament démocratiques. Cette introspection est d’autant plus nécessaire et urgente que ce sont ces problèmes-là même qui sont aujourd’hui à l’origine des contradictions politiques et militaires qui ont plongé le Togo et la Côte d’Ivoire dans ces crises qui font courir aujourd’hui le président du Faso.
Pour sortir définitivement de ces imbroglios, il faut revenir à une conception plus civilisée de la politique, celle qui ouvre le jeu politique à tous, limite le nombre de mandats, instaure une culture d’élections libres, transparentes et apaisées et surtout fait de la bonne gouvernance, de la transparence et de la promotion de la démocratie des valeurs cardinales et inaliénables. Les coups d’Etat ne sont pas une fatalité, les présidences à vie non plus. Seulement, c’est la prévention de tous ces maux qui manque le plus dans les comportements de ceux qui nous gouvernent et qui devraient plutôt se dire, comme le sage adage : « Il vaut mieux prévenir que guérir. » Et arrêter de nous pomper l’air.
F. Quophy
Le Faso.net