« Les Etats n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts ». Charles de Gaulle
Mahamat Nouri, Timane Erdimi et Adouma Hassaballah ont été expulsés par les Autorités soudanaises à Doha (Qatar). Ainsi, ils ont payé le prix de leur inimaginable incurie et de leurs accablantes turpitudes. Ils sont les seuls responsables de ce qui venait de leur arriver et, par voie de conséquence, de tout ce qui pourrait tomber sur la tête de leurs hommes individuellement et/ou collectivement.
En effet, ces personnages ont eu l’occasion et la chance extraordinaire d’entrer dans l’histoire par la grande porte, mais ils ont lamentablement gaspillé toutes les opportunités et tous les atouts offerts à eux. Jamais dans l’histoire riche en rébellions armées du Tchad, aucune d’elles n’a pu disposer autant de moyens humains, matériels et financiers que ceux engrangés par les susnommés, moyens mis à leur entière et libre disposition par leur parrain soudanais. Même Kadhafi, hier, à l’égard de ses protégés du Frolinat, n’a pas été aussi généreux qu’Oumar Al Béchir à l’endroit de ces politico-militaires tchadiens d’une obédience et d’une philosophie atypiques. Non plus, jamais, autant de jeunes et moins jeunes Tchadiens, en nombre, ne s’étaient rassemblés, dans le passé, sous la bannière d’une opposition politico-militaire ayant pour but le renversement du régime au pouvoir. Le tout dans un environnement politique, socio-économique national exceptionnellement favorable à l’opposition et, à contrario, farouchement hostile au clan mafieux ultra minoritaire au pouvoir, vomi pratiquement de tous y compris de la plupart de ses laudateurs intéressés et autres valets de service.
Il aurait suffi seulement d’une tête, parmi les nombreux cadres de la Rébellion, un homme émergeant du lot, avisé, habité de courage, de détermination et de dévouement, apte à capitaliser ces opportunités inouïes pour les mettre au service de la grande cause pour aller - à la tête de ses troupes conscientisées, mobilisées et motivées – à l’assaut du régime sanguinaire antinational à bout de souffle et évanescent dirigé par un clan d’assassins et de pillards à la solde de puissances étrangères ; en vue d’amener le changement tant attendu, ou dans tous les cas, rendre ce changement inéluctable.
Hélas, la réalité était que les chefaillons régnant à la tête de l’opposition politico-militaire, s’équivalant en nullité, futilités et nuisances, ont passé le plus clair de leur temps à se tirer dans les pattes, à se discréditer réciproquement auprès de leurs souteneurs soudanais, à se trahir mutuellement et tenir constamment un langage hypocrite, mensonger et démagogique à leurs propres hommes pour les endormir et mieux les manipuler, voire même les diviser sur des bases claniques, ethniques et matérielles. Le désordre, la corruption, le détournement des ressources financières, le lucre et la totale opacité caractérisent leur gestion chaotique et scandaleuse, fidèlement copiée sur celle de leur ancien maître Idriss Deby. A cette différence notable que ce dernier dispose à sa guise de la totalité des revenus et moyens du Tchad , qu’il est bien plus malin qu’eux, s’est entouré de mercenaires français et autres étrangers pour le conseiller, le modérer autant que faire se peut dans ses folies ubuesques et, chaque fois de nécessité, faire le coup de feu.
Encore une fois, disons que ce qui a terriblement manqué à l’opposition politico-militaire tchadienne, c’est bien un leadership à la hauteur de cette grande et exigeante responsabilité qui nécessite, certes, des qualités peu communes mais bel et bien relevant des attributs humains.
Devant ce constat, les Soudanais, épuisés par les sacrifices immenses qu’ils ont consentis, dégoutés, horrifiés, et à la lumière de tous les enjeux et les défis auxquels ils sont confrontés, ont décidé de faire un bout de chemin avec Deby, mettant ainsi en sommeil (s’ils n’y ont pas définitivement renoncé) leur volonté de se débarrasser de leur ex protégé devenu ennemi. Le temps de voir quels résultats positifs ou négatifs va produire la « lune de miel » inaugurée avec force embrassades, échanges de bons mots et de sourires quelque peu grimaçants. C’est dire que du côté de Ndjamena également l’heure est à la réconciliation. C’est d’ailleurs Deby qui en a pris l’initiative par la visite largement médiatisée qu’il a rendue à Al Béchir à Khartoum.
Malgré tout, de part et d’autre, une certaine prudence semble de mise. Deby qui a encore de nombreux combattants du MJE du Dr Khalil Ibrahim dans les rangs de ses milices cherche discrètement à renouer le contact avec ce dernier à travers les bons offices des proches parents communs, notamment Timane Deby, demi frère du Chef de l’Etat tchadien et cousin de Khalil. Quant à Al Béchir, nonobstant la déportation, au-delà de la mer rouge, des chefs rebelles, il s’est gardé, du moins jusqu’ici, de prendre de mesures aussi radicales contre leurs troupes, toujours stationnées sur son territoire. Sauf que des rumeurs sur un possible désarmement de ces hommes circulent. Plus que de rumeurs, quelques combattants isolés ont été délestés de leurs armes par la sécurité soudanaise. En somme augmenter le contrôle, mieux les tenir en attendant de voir clair et prendre, le moment venu, la bonne décision dans un sens ou dans un autre.
Aussi, même si elle n’est pas encore au fond d’un trou noir, la Rébellion tchadienne ne traverse pas moins une dangereuse zone de turbulence. Il serait de bonne sagesse que les hommes qui sont sur le terrain se réveillent, sortent de la torpeur ambiante et se départissent des spéculations désarmantes (certains de leurs chefs et/ou leurs proches donnent à croire qu’ils seront de retour dans quelques mois). A moins qu’ils aient, d’ores et déjà, fait le deuil de leurs ambitions affichées, et qu’ils se sont résignés à attendre benoîtement que le sponsor soudanais décide – en bien ou en mal - de leur sort, il est vital à cette base de retrouver l’instinct de remise en cause et la volonté de refondation, se donner des objectifs immédiats clairs, réalistes et arrêter les voies et moyens en vue de faire face à la nouvelle donne. Dans le cadre des débats ouverts, la parole libre et sincère, et en pleine conscience de la gravité de la situation.
Par Dr. Souleymane Issa Saleh