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"Maintenant, c'est décidé, je pars. Je vais faire une demande d'asile aux États-Unis le plus tôt possible. C'est clair qu'ils ne veulent plus de nous dans ce pays qui est le mien." Youssef Bassam, 21 ans, irakien et chrétien, est traumatisé par le carnage auquel il a échappé, par miracle, dimanche 31 octobre. Il assistait à la messe dans la cathédrale catholique-syriaque de Notre-Dame du Perpétuel Secours (Sayidat al-Najat en arabe), dans le quartier commerçant de Kerada, au coeur de Bagdad, quand l'horreur est survenue.


Il est 17 heures en cette veille de Toussaint. Quelque cent cinquante fidèles écoutent le sermon du père Athir. Soudain, des explosions et des bruits d'armes automatiques les font sursauter. Un groupe d'hommes portant des treillis militaires surgit dans la cathédrale. L'orateur s'interrompt, il est fauché d'une rafale de fusil d'assaut. "Le père Wassim a tenté de mettre à l'abri une cinquantaine de fidèles, dont j'étais, dans une pièce attenante, raconte Youssef, selon un témoignage recueilli par l'AFP. Il a essayé de parlementer, mais les assaillants l'ont immédiatement abattu." Un troisième religieux reçoit une balle dans les reins. Il décédera à l'hôpital. "C'était la panique", se souvient Youssef, précisant qu'il a vu un terroriste jeter une grenade sur sept personnes qui tentaient de s'échapper. Un jeune homme de 18 ans, qui refuse de donner son nom, raconte qu'il s'est, lui aussi, réfugié dans une petite salle où se trouvaient déjà quatre autres fidèles. "Deux hommes armés sont entrés dans la pièce, ils ont tiré en l'air et sur le sol et ont fait trois blessés parmi nous, puis ils nous ont poussés dans la nef."

 

Zone d'ombre sur le rôle des Américains

Plus tard, pour les otages, c'est la terreur, tout devient flou. "Nous avons entendu des échanges de tirs, des explosions, des éclats de verre tombaient de partout", se rappelle le garçon. Selon le ministère irakien de la Défense, un contact téléphonique a été établi avec l'un des assaillants ou l'un de ses complices à l'extérieur de la cathédrale. Les terroristes affirment appartenir à l'État islamique en Irak, la branche irakienne d'Al-Qaeda, et demandent la libération de prisonniers islamistes en Irak et en Égypte, dont deux femmes mariées à des Coptes. Celles-ci, converties à l'islam, seraient retenues dans des monastères coptes en Égypte. Une rumeur sans fondement qui court dans les milieux islamistes égyptiens depuis plus d'un an.

 

Pour les autorités de Bagdad, il n'y a rien à négocier. Elles décident de lancer l'assaut vers 20 heures. Une zone d'ombre demeure : les forces spéciales irakiennes étaient-elles encadrées par des conseillers américains, comme l'affirment certains témoins, qui assurent avoir été libérés par des GI ? Les Américains démentent. "Les équipes de conseillers étaient seulement près du lieu du drame", expliquera le commandant militaire américain, en précisant que les forces irakiennes portent le même uniforme que les forces d'élite américaines. Une certitude : on relèvera trente-sept morts parmi les fidèles, dont deux prêtres ; en outre, sept membres des services de sécurité irakiens et cinq terroristes sont abattus. L'un d'entre eux se serait fait exploser au moment de l'assaut. Soixante fidèles sont blessés.

 

Les chrétiens, estimés sous Saddam

La cathédrale ressemble à un champ de bataille : le sol et les murs sont maculés de sang et criblés de balles, des lambeaux de chair sont visibles par endroits. C'est l'attaque la plus horrible et la plus spectaculaire qui ait jamais été portée contre les chrétiens irakiens, présents en Mésopotamie depuis deux mille ans. Ils furent longtemps nombreux : jusqu'au tiers de la population irakienne, selon certaines sources religieuses. Sous le laïque Saddam Hussein, les chiites étaient les parias, les chrétiens étaient estimés. Tarek Aziz, le ministre des Affaires étrangères du raïs, condamné à mort le 26 octobre, est chrétien. Souvent bien éduqués, ils étaient présents dans les milieux d'affaires et les professions libérales. À Bagdad, 35 % des ingénieurs et 40 % des médecins appartiendraient encore à l'une ou l'autre des communautés chrétiennes du pays.

 

C'est dans les années 80 que certains commencent à songer au départ. Ceux qui vivent au Kurdistan quittent leur région d'origine pour Bagdad lorsque Saddam Hussein se met en tête de "nettoyer" les territoires kurdes. Après la première guerre du Golfe et les sanctions économiques qui s'abattent sur le pays, il devient de plus en difficile de vivre et la bourgeoisie chrétienne envoie ses enfants à l'étranger. Beaucoup ne reviennent pas. Mais le grand virage date de 2003 et de la guerre américaine contre Saddam Hussein. On estime que les effectifs de la communauté chrétienne ont fondu de 50 % ces sept dernières années et qu'ils ne représentent plus que 250.000 à 400.000 personnes (moins de 3 % de la population). Entre le manque de statistiques fiables et la propension des autorités à diminuer le nombre des ressortissants de cette communauté, le chiffre exact est difficile à connaître.

 

Un pays sans gouvernement

Les chrétiens sont-ils devenus des gêneurs, des étrangers en terre d'islam ? "Jusqu'en 2010, tout le monde était dans la violence en Irak, nous vivions tous avec la peur d'être enlevés, tués, d'être victimes d'une explosion , explique Philippe -Khoshaba, dominicain irakien, professeur de théologie à Bagdad. Mais, dans un contexte de guerre civile pour le pouvoir, la cohabitation des chrétiens avec les différentes factions militaires et politiques est encore plus difficile. Au Kurdistan, les chrétiens ont fait les frais de la lutte entre les Arabes et les Kurdes ; à Bagdad, ils paient les pots cassés de la confrontation entre sunnites et chiites."

 

En 2008, nombre de chrétiens chaldéens ont été assassinés à Mossoul, dont un archevêque, Mgr Rahho. Son corps a été retrouvé deux semaines après son enlèvement. Chaque période de tension politique voit la violence contre les chrétiens s'exacerber. L'Irak vit sans gouvernement depuis les élections législatives de mars. Le Premier ministre sortant, Nouri al-Maliki, chiite modéré, tente de se trouver des alliés pour un nouveau mandat. Les chrétiens ne sont guère son souci - même s'il a condamné l'attaque de la cathédrale - et les extrémistes islamistes sont les seuls à se faire entendre. "L'unique point d'accord entre sunnites et chiites, c'est le départ des chrétiens", confirme Marc Fromager, directeur d'Aide à l'Église en détresse. "Depuis 2003, les chrétiens sont dans la désespérance de ne plus pouvoir vivre en Irak", reprend le frère Philippe Khoshaba.

 

L'Élysée offre l'asile

De nombreux chrétiens ont donc quitté le pays pour la Turquie, la Syrie, la Jordanie. Pour certains, ce fut une première étape. Ils ont poursuivi leur périple vers les États-Unis, le Canada, l'Australie. Il est plus facile aux Irakiens chrétiens qu'aux musulmans d'obtenir des visas. La France a aussi parfois ouvert ses frontières aux chrétiens d'Irak. Lundi 1er novembre l'Élysée a déclaré offrir l'asile à cent cinquante Irakiens qui auraient été blessés dans l'attaque de la cathédrale.

 

Une politique occidentale mal perçue par la hiérarchie catholique en Irak. "Nous sommes fiers que le Quai d'Orsay se fasse le défenseur des chrétiens d'Orient, déclare Marc Fromager, mais on doit constater que cette politique favorise leur départ d'Irak." "On peut craindre que toute la communauté chrétienne de ce pays ne parte", regrette-t-il. Même son de cloche chez le père dominicain : "Dans dix ou quinze ans, il risque de ne plus y avoir de chrétiens en Irak et ce sera la mort de cette pensée différente qui existait dans un grand pays du Moyen-Orient. Or les chrétiens ont un rôle à jouer dans la reconstruction de l'identité irakienne. "Les terroristes de l'État islamique d'Irak, liés à Al-Qaeda, qui ont attaqué la cathédrale le 31 octobre ne se sont pas trompés de cible.

Tag(s) : #International
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