Le Tchad Aujourd’hui entre Brain Drain et Brain Waste: Comment rétablir l’équilibre ?
La promotion des cancres, tocards et déserts intellectuels au Tchad fait plus de mal au pays en terme de gâchis de ressources humaines que les conséquences néfastes des guerres tribalo-ethniques. Un scientifique Européen a fait remarquer pendant l’aube de la course aux découvertes scientifiques dans le continent que «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Nous sommes à l’ère de la course au développement durable à travers le monde. Et si je dois paraphraser à ma manière cette remarque dans le contexte actuel de développement, je dirais ceci : « Tout effort de développement durable sans prévision adéquate de ressources humaines n’est que perte d’argent, de temps et d’énergie etc.».
Même si l’exploitation du pétrole tchadien est mal négociée, ses retombés actuels peuvent encore permettre aux 10 millions de Tchadien(ne)s de sortir de leur misère noire et retrouver leur sourire « d’Africains heureux », sans trop demander à l’état comme c’est le cas aujourd’hui. Ainsi, si le Tchad a des dirigeants et gestionnaires de l’état conscients et consciencieux de l’avenir des populations et des jeunes de ce pays, l’argent du pétrole ne doit pas seulement servir à l’état d’acheter des armes ou des canons et les retourner contre ses propres fils. Qu’ils soient rebelles, mercenaires ou dissidents contre l’état, là n’est pas ma préoccupation encore. Car selon les « indiscrétions » de certains experts tchadiens qui ont pris part à une conférence de paix aux USA, les dépenses pour la Défense Nationale/Armée Nationale Tchadienne (ANT) représentent sensiblement les 2/3 des royalties ou revenus pétroliers déjà déboursé(e)s aux gouvernements tchadiens de 2004 à nos jours. Et j’imagine mal que l’état tchadien soit à mesure de transformer un jour ces canons, achetés avec les pétrodollars « des futures générations », en socles pour permettre aux paysans de faire l’agriculture ou en stylos pour permettre aux étudiants et élèves d’écrire/d’étudier une fois le Tchad réconcilié avec lui-même.
Tout développement se fait à la base. Et les ressources humaines constituent la véritable base de tout développement durable. C'est-à-dire il faut d’abord investir dans le développement humain afin de subvenir aux besoins élémentaires et vitaux des populations tels que leur offrir l’éducation, leur donner à manger, les loger et les soigner etc. Or au Tchad, on déloge les populations, on les prive de salaires et les empêche de cultiver pour arriver à subvenir à leurs besoins ou à se nourrir. Quant au domaine d’éducation, l’éthique, la rigueur et l’émulation sont en train de disparaitre du système éducatif tchadien. C’est plutôt la facilité, pour ne pas dire la médiocrité, qu’on cultive en les élèves, étudiants et fonctionnaires tchadiens. Pis, les guerres empêchent même les populations de dormir, réfléchir et travailler. Comme quoi, les promesses du développement physique au Tchad seules ne suffiront pas à pallier à tous ces manquements et toutes ces carences dans la gestion des ressources humaines et l’éducation au Tchad.
On me dira que tout cela est en chantier au Tchad ou comme le dit gaillardement le président Idriss Deby dans son discours de fin d’année, « Si nous consacrons une attention particulière à l’éducation, en y faisant de gros investissements, c’est parce qu’il est évident pour nous, plus encore qu’hier, que l’enseignement constitue le fondement nécessaire à toute construction d’une société moderne. L’école est le lieu par excellence de façonnement du citoyen, d’initiation aux valeurs républicaines et d’apprentissage du civisme.» Je concède au PR l’idée contenue dans la seconde phrase de cette assertion. Mais de mémoire de Tchadien, dès l’entrée du MPS en 1990 au Tchad, les nouveaux dirigeants du pays ont fait clairement savoir aux étudiants de l’université du Tchad, aux lycéens et à tous les enseignants que l’éducation était le cadet de leurs soucis. L’un des ministres de l’époque disait même ceci aux étudiants en grève : « Même si vous brulez tout N’djamena, cela ne vas pas nous empêcher de dormir sur nos deux oreilles ». Et pour toute récompense, les étudiants, élèves et enseignants tchadiens étaient accueillis par des grenades lacrymogènes et autres canons de 1990 jusqu'à l’exploitation du pétrole.
Par conséquent, l’histoire du développement rattrape nos dirigeants dans leur cécité politique d’investir dans l’éducation, et surtout dans la gestion des ressources humaines. Et je suis marré d’entendre qu’on fait maintenant seulement de gros efforts pour investir dans l’éducation ou le développement humain au Tchad.
Par ailleurs, il est indéniable que le Tchad a plus de ressources humaines à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Cela est dû essentiellement au brain drain (fuite de cerveaux) occasionné par l’instabilité politique, les guerres fratricides et toutes les discriminations nées de ces guerres et conflits. Quant à ce qui reste de ressources humaines au niveau de l’intérieur, c’est du brain waste (gâchis/sous utilisation de cerveaux). Car ces ressources sont mal exploitées à cause des maux tels que: sous emploi créé par la promotion de la médiocrité, enrôlement par force dans l’armée, tueries, clochardisation des fonctionnaires, alcoolisme des jeunes pour noyer leur misère noire, prostitution, pistonnage des cancres aux hautes fonctions/institutions de l’état etc. En plus, les politico-militaires ont également contribué, à leur manière, à la fuite et gâchis des cerveaux tchadiens. Aujourd’hui, il y a plus de docteurs (PhDs), de généraux et de commandants parmi les rebelles que dans l’ANT. Alors, on doit se lamenter de ce qui reste comme ressources humaines aujourd’hui dans le pays. Sinon, comment rétablir cet équilibre au niveau de fuite et gâchis de ressources humaines au Tchad ?
L’état tchadien doit se mordre les doigts aujourd’hui d’avoir laissé échapper des opportunités de mettre les compétences de certain(e)s Tchadien(ne) à son service. Par exemple, en son temps, les partenaires à l’exploitation du pétrole ont offert de faire former des jeunes tchadiens sur place à Komé et N’djamena etc. pour remplacer les expatriés dont les contrats de travail arrivent à terme après deux ans. C'est-à-dire, il y avait un programme dit « d’homologation » mis en place par Esso et ses sous traitants (TCC, David Terrassement, Pride, Schlumberger etc.,) pour assurer la relève à la fin des travaux de construction. L’objet de ce programme était que tous les expatriés travaillant au Projet Pétrole du Tchad devraient former leurs collègues tchadiens pour qu’ils les remplacent, à différents niveaux, une fois leurs contrats de deux ans finis sur le site ou à N’djamena. Mais cette idée géniale d’aider le Tchad à générer des ressources humaines sur place n’a pas obtenu l’assentiment du gouvernement tchadien. Par conséquent, les compagnies, avec la complicité du gouvernement et de l’Office National d’Emploi, étaient obligées d’aller recruter des bandes de chômeurs à travers le monde pour les déverser nuitamment dans les chantiers de Komé, sans permis adéquats de travail. Voilà comment l’état tchadien constitue un frein au développement humain au niveau du pays. Néanmoins, même si Esso a réussi à envoyer certains jeunes tchadiens en formation à l’extérieur dans ce sens, la majorité de ces jeunes se sont volatilisés en occident à cause des mauvais traitements vus sur place et dans leur propre pays.
Il n’y a qu’au Tchad ou le militaire ne connait rien d’autre que tirer sur son propre frère. Ailleurs, l’armée constitue un réservoir indéniable de ressources humaines pour l’état. Car les militaires soignent, enseignent et protègent etc. les populations. Il n’y a pas une armée véritablement nationale chez nous, mais elle est la plus argentivore et budgétivore. Et les rebelles ont plus de diplômés dans leurs rangs que l’armée tchadienne. Alors, si Idriss Deby et le gouvernement tchadien se demandent où trouver les ressources humaines pour protéger les humanitaires de l’est du Tchad, je les conseillerais encore de se tourner résolument vers l’est du Tchad pour signer une paix de brave avec les rebelles ou politico-militaires tchadiens. Car cela leur permettra de faire face à leur nouvel engagement vis-à-vis de l’ONU et son Conseil de Sécurité quant à maintenir l’ordre et la paix ainsi que sécuriser les humanitaires dans leur assistance aux refugiés du Darfour à l’est du Tchad.
S’il y a un rapprochement dans ce sens, l’ONU peut se charger de former et redéployer les militaires-rebelles aptes à servir dans la zone parce que connaissant déjà le terrain. Cela permettra une réinsertion de certains rebelles et leur éventuel reversement dans l’Armée Nationale Tchadienne parce que la majorité d’entre eux n’ont fait que défection de cette armée. Sans l’exploration de cette piste, on ne sait pas où est-ce que le gouvernement tchadien trouvera-t-il de ressources humaines militaires pour remplacer ces 3 000 casques bleus qui doivent déjà quitter le Tchad. A moins que le gouvernement ne pense à envoyer une bonne partie de l’effectif de son armée à l’est pour regarder les rebelles en chiens de faïences. Là également des têtes vont tombées, et tant pis, ça roule car on a du pétrole au Tchad.
Laounodji M.Mona
Washington DC
laoumonzal@yahoo.fr