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Cher Monsieur,
Vous avez récemment réalisé une interview du président tchadien Idriss Déby et vous avez supervisé un numéro de la série "Les Guides Ecofinances" consacré au Tchad. Nous croyons pouvoir affirmer ici que vous avez oublié le devoir premier d'un journaliste : l'impartialité.

Comme Déby s'autoproclamant président démocratiquement élu du Tchad, vous vous dressez tout de go pour vous introniser spécialiste incontesté du Tchad et vous vous permettez sans vergogne aucune de donner une image fallacieuse de la réalité tchadienne aux milliers de lecteurs de Jeune Afrique. La seule question qui nous vient à l'esprit est alors la suivante : qui êtes-vous pour affirmer que la situation s'améliore au Tchad ? Avez-vous seulement déambulé du côté de Ridina ou de Walia (les quartiers les plus miséreux de N'Djamena) pour nous asséner que le cadre de vie des Tchadiens change ? Avez-vous vu seulement les enfants affamés des camps de Goz Beida ou de Farschana, bouches asséchées et teints maladifs, pour crier à qui veut bien l'entendre que des hôpitaux et des écoles sont construits partout au Tchad par des architectes renommés ? Avez-vous entendu, rien qu'une fois, les cris éplorés de veuves dont les maris ont été assassinés par la tyrannie débyste et qui crient vengeance ? Non, vous n'avez rien vu, vous n'avez rien entendu. Plus grave encore, vous ne connaissez pas le Tchad. La seule chose que vous ayez vu, ce sont les lambris dorés du palais rose et le soleil se reflétant sur la carlingue lustré des Hummers appartenant au clan des Itno. Nous, qui connaissons le Tchad, qui avons souffert dans notre chair des excès du gouvernement dictatorial d'Idriss et de ses sbires, nous, avec tout le peuple tchadien qui n'a pas de quoi manger à sa faim pendant que d'autres engouffrent dans leurs poches des liasses entières de pétrodollars, affirmons que vous avez tort
.


Non, le Tchad ne vit pas en harmonie. La présidence de Déby a quasiment érigé la domination de sa famille en règle constitutionnelle. A l'heure actuelle, le clan des Itno et ses acolytes monopolisent tous les postes clés du gouvernement, de l'administration ou encore de l'armée et les dirigeants tchadiens n’appartenant pas à ce clan diabolique ne sont que les bambous qui cachent bien mal la forêt des baobabs Itno. Quant au front de résistance uni, certes il est dirigé par un zaghawa (de la même ethnie, mais ayez l'honnêteté d'écrire qu'il compte en son sein, outre les zaghawa, de nombreux courants de poids qui représentent toutes les ethnies tchadiennes, des gorane aux ouaddaeins en passant par les arabes,les Hadjaraye, les tama ou encore les sara. Non, et deux fois non, la fracture Nord-Sud n'est pas à ranger dans les placards de l'histoire. Les habitants de Sarh, de Mongo ou de Beti ne peuvent oublier avec quelle férocité le président actuel a exterminé les leurs dans les années 90 et la rancœur est encore bien vivace dans ses régions (encore faudrait-il que vous y ayez mis les pieds). Non, et trois fois non, le Tchad ne se modernise pas avec célérité. Il vous faut ici faire la différence entre les quelques quartiers de N'Djamena en pleine reconstruction et un pays entier. Sachez seulement qu'en dehors de la capitale, le reste du Tchad est laissé à l'abandon et aucun progrès notable ne peut être relevé du fait du manque de redistribution de la manne pétrolière. Votre erreur est ici à mettre sur le compte de votre mauvaise connaissance de l'ensemble de la nation tchadienne et votre soucis de considérer les quelques travaux entrepris à N'djamena comme une constante à travers tout le pays.


Ainsi, au vu de vos écrits, les lecteurs avertis que nous sommes balancent entre deux appréciations de votre travail sur le Tchad : soit vous êtes une énième victime de la propagande doucereuse du régime débyste, soit vous avez été contaminé par la maladie du billet vert qui s’attaque à beaucoup de ceux qui côtoient Idriss et sa clique. Vous considérant encore comme quelqu'un de non dénué d'esprit, nous penchons plutôt pour la seconde solution. Alors, au nom de tout le peuple tchadien, nous voudrions vous ramener à la raison et vous rappeler les fondements inaliénables de l'éthique du journaliste. Il faut ici vous départir de toute collusion avec telle ou telle partie impliquée dans la question tchadienne et présenter les événements en connaissance de cause pour ne pas induire en erreur les lecteurs de votre journal. Dans le cas contraire, si la position de nègre en titre d'Idriss Déby vous convient, si vous ambitionnez de devenir le nouveau Goebbels de N'Djamena, un énième Eisenstein de pacotille et si votre seul projet de vie est de relayer la propagande criminelle qui s'écoule de la bouche d'un des dictateurs les plus sanguinaires que l'Afrique ait jamais connue, il ne reste plus qu'à vous souhaitez bonne route et à espérez pour vous que vous ne croiserez jamais la nôtre
.


Vous comprendrez à la lecture de cette lettre, cher Monsieur, que nous ayons l'outrecuidance de ne pas vous saluer
.

 

 

 

Brahim Ibni-oumar Mahamat Saleh

Tag(s) : #Politique
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