Les séries télévisées brésiliennes, les favelas, ont fini par domestiquer les populations des grandes villes africaines. En effet, de Yaoundé à Bamako en passant par Abidjan, Lomé ou Ouaga, les jeunes africains se retrouvent quotidiennement devant leur poste de télévision pour suivre leurs séries préférées diffusées presque toutes à la même heure. On y relate des histoires d'amour, de querelles familiales ou des difficultés des jeunes. Les africains se retrouvent plus ou moins dans ces histoires d'où l'engouement constaté un peu partout sur le continent. Les véritables accrocs essaient même de suivre deux ou trois séries à la fois en zappant d'une chaîne à une autre. Le tout se passe avec des commentaires passionnés.
La jeunesse guinéenne ne fait pas exception à cette ferveur des séries brésiliennes. Mais depuis quelques mois, une autre attraction est venue enrichir leurs programmes, il s'agit de « Gadis show » qui est diffusé chaque jour à partir de 21 heures à la télévision nationale. Les Guinéens, tout âge confondu, regardent attentivement cette série made in CNDD où les principaux acteurs ne sont autres que les membres de la junte au pouvoir qui interrogent des barons du régime du défunt président Lansana Conté et en présence de la société civile.
Au nom donc de la lutte contre les détournements des deniers publics, le blanchiment de l'argent sale, la corruption, les crimes et l'impunité, les Guinéens ont d'une manière générale apprécié à leur juste valeur ces interrogatoires quelque peu musclées. Mais au fur et mesure que se déroule le feuilleton « Gadis », des voix discordantes se font entendre et on a assisté en direct à des résistances farouches d'hommes face à l'acteur principal, ici le président Gadis en personne, qui incarne pour la circonstance le personnage du grand justicier, le donneur de leçons, le réparateur de tous les torts, ...etc. et cela malgré les intimidations et les menaces des militaires.
Du plateau de la télévision guinéenne, la défiance s'est vite déplacée dans les bureaux des partis politiques, dans l'administration et puis dans tous les lieux publics. Pour couper court à cette fronde, le chef du CNDD, le démocrate en herbe, monte au créneau et menace la classe politique et civile guinéenne qu'il traite de tous les noms d'oiseaux pour l'avoir vilipendé. Puis, lâche le gros morceau : « si je veux, je me présenterai à l'élection présidentielle ».
La phrase de trop qui a fait frémir toute la Guinée. Le CNDD n'a pas été épargné par ce coup de tonnerre et des explications ont été données à huis clos par son chef mais il reste que la junte vit là sa première véritable crise de confiance. Cela est d'autant plus sérieux que le 22 avril dernier, le Président Moussa Gadis Camara a dû annuler in extrémis un voyage devant le conduire au Sénégal et en Libye.
Informé d'un comportement anormal de certains officiers membres du CNDD, le chef de la junte qui avait même pris place dans l'avion présidentiel, a préféré laisser la délégation voyager sans lui. Aussitôt rentré à son palais, il ordonne l'arrestation de plusieurs officiers et promet un déballage à la télé sur cette affaire.
Le climat déjà délétère se pourrit davantage en Guinée. Les élections législatives et présidentielles sont programmées pour octobre et décembre 2009. Malgré la levée de l'interdiction des activités politiques, le doute d'une transition pacifique gagne quotidiennement les plus optimistes qui craignent que la junte explose et avec elle l'unité de l'armée. Les Guinéens qui ont déjà connu les affres de la guerre civile croisent les mains et prient fermement.